dimanche 14 janvier 2018

Lire : les amours contrariées





Comme il était entendu que Wen ne logerait pas à l’université, nous sommes allés passer deux ou trois nuits à l’hôtel des Collines parfumées. C’étaient à l’époque de jolies bâtisses de brique grise, sans étages. Deux rangées de chambres donnaient sur une cour allongée. On se lavait dans la cour, mais il y avait des salles de bains. A peine installés, nous avons eu la visite de deux policiers, c’était en début de soirée. L’un, qui s’était posté sur le pas de notre porte, a crié à l’autre, qui était resté à l’entrée de l’hôtel : Yige waibin, Yige neibin ! littéralement : un hôte du dehors (un étranger), un hôte du dedans ! Nous avons produit notre certificat de mariage. Ils étaient certainement avertis de notre venue, mais voulaient se montrer. Nos nuits : selon le conseil de Stendhal, je saute le bonheur. [p. 69 (ça ne s’invente pas)]

Jean-François Billeter, éminent sinologue suisse, vient de publier aux éditions Allia ce petit livre dans lequel il raconte la rencontre de sa femme Wen et l'aventure rocambolesque de leur mariage dans la Chine du milieu des années 1960. Parti comme étudiant à l'université de Pékin pour y approfondir ses connaissances de la langue, il fait la connaissance d'une jeune femme médecin. Mais cette idylle naissante se heurte à toutes sortes d'oppositions : les Chinois ne sont pas censés entretenir de relations personnelles avec des étrangers. Pour se tirer de cette situation dangereuse et complexe, il doit introduire une demande de mariage en bonne et due forme. C'est le début de toute une série de tracas et d'une histoire d'amour que la mort même n'a pas su interrompre. L'écriture est sobre : une page de l'histoire de la Chine racontée par le biais de quelques tranches de vie. A travers quelques descriptions retenues (une longue tresse noire sur laquelle il a tiré d'un coup ferme lors de leur première rencontre, une pèlerine vert pomme portée lors d'une balade pluvieuse, une prompte répartie face aux questions de policiers fureteurs), on devine la beauté et la force de caractère de la jeune femme qui sourit sur la couverture.
Wen est décédée en 2012, mais elle accompagne toujours J.F. Billeter. C’est cette présence continue qu’il retrace dans Une autre Aurélia, texte qui attend sagement sur ma pile et que j'ai hâte de découvrir.



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