lundi 11 décembre 2017

Voyager : le recadrage




Ce soir-là, l’Italie s’apprêtait à faire le pont de l’Immacolata. Dans la nuit étoilée, le tunnel du Mont-Blanc ressemblait à une forteresse prise d’assaut par une armée de véhicules roulant pare-chocs contre pare-chocs : deux heures d’attente annoncées.

A un certain point, la chaussée s’est ouverte sur deux voies parallèles : l’une réservée aux véhicules légers et l’autre aux poids lourds. Je me suis alors retrouvée pendant plus d’une heure à côtoyer ces grandes semi-remorques qui sillonnent l’Europe de part en part. J’avais les yeux exactement à la hauteur de leurs essieux.

Et là, précisément de ce point de vue, l’horreur m’est apparue. Cette horreur dont on nous parle tant. Mais…autrement, pas en images, pas en dépêches, pas en reportages. Tout à coup, j'ai vu ce que peut signifier le courage de se planquer entre les roues. D'un coup, l’horreur des passages clandestins s’est imposée à moi, si proche que j'aurais pu la toucher des doigts. La nuit, le froid. Les chiens, les phares. Les bruits, les moteurs.

On croit connaître, mais au fond on ne connait pas. On croit comprendre, mais au fond on ne comprend pas. On sait et au fond que sait-on vraiment ? C’est le mental qui croit savoir, parce qu’il analyse les informations, se forge des convictions. Mais c’est le corps au final, qui fait expérimenter la réalité. Ce sont les yeux, ce sont les tripes qui nous font vraiment réaliser. 

Je suis restée longuement pensive face aux lueurs rouges et blanches de la nuit. A ressentir ce que peut vivre un être humain, venu de très loin, quand il tente cette expérience-là, quand il ose risquer sa vie, affronter cette lugubre loterie.

Et puis… quelques coups de klaxon ont retenti (toujours les mêmes plaisantins, empruntant des raccourcis pour grappiller quelques minutes aux dépens des autres conducteurs). Et puis...notre tour est enfin arrivé. Nous avons acheté notre billet. Nous nous sommes engagés dans l’entonnoir. Nous nous sentions à la fois tristes et soulagés, nous qui avions une maison vers laquelle nous diriger. 

2 commentaires:

  1. Coucou Dad. Contente de te savoir de retour sur la blogosphère.

    Ton texte me renvoie à une réflexion que je me faisais ce matin en lisant les commentaires sur le 20mn de certaines personnes qui ont été bloquées dans les trains hier entre le Valais et Vaud. Cela m'a sidéré de voir la violence de certains usagers des transports publics :
    "Il faisait trop chaud", "on a dû attendre deux heures avant d'avoir de l'eau", "c'est inadmissible de voir que les CFF augmentent les prix mais ne sont pas capables d'assurer les services", etc. etc.
    BLABLABLA...

    J'ai envie de dire à ces gens, qui ont une maison, qui vont y arriver en retard certes, qui ont peut-être manqué une correspondance mais vont en trouver une autre, qui n'ont peut-être pas eu la bonne tartine dans le train en attendant qu'il redémarre... que ce sont des imbéciles...
    Une tempête de neige comme celle qu'on a vécue hier n'arrive pas tous les jours. Par contre, il y en a, sur cette planète, qui doivent se battre tous les jours pour leur survie...
    Bises alpines et enneigées.

    RépondreSupprimer
  2. Hello, Dédé,
    J'étais moi aussi dans les transports publics hier, j'ai fréquenté les gares, les autobus, les voyageurs mécontents, et... surtout après ce retour si sensible d'Italie, je me suis dit qu'il fallait impérativement relativiser quand nous sommes confrontés à ces problèmes de "nantis". Avoir un toit, savoir où aller, c'est vraiment une chance dont il est bon de savoir se rappeler. Je te souhaite une très bonne journée, chère Dédé, ici : pluie, ciel maussade, et tout plein de bouquins à empaqueter (oui, je commence à recevoir des commandes...) Bises D.

    RépondreSupprimer