lundi 3 avril 2017

Habiter : la maison malaimée


Rietvelt et Schröder / House Model / Gemeentemuseum / Den Haag

Arrivant dans un logement nouveau, même pour un bref séjour, je ressens la nécessité d’aménager au mieux ce coin du monde  (créer un lieu où dormir, me reposer, lire, prendre quelques notes, me faire un thé). Tout provisoire qu'il soit, j'ai le besoin instinctif  de m'y sentir chez moi.

A La Haye, la maison en briques rouges se situait au cœur de ce qui s’est révélé être un quartier bobo, dont les rues chics abritaient une suite de restaurants à la mode et boutiques d’antiquaires, mais où l’on ne trouvait aucun débit à la ronde où descendre acheter un litre de lait ou une baguette.
D’emblée, en entrant, j’ai senti les murs dire leur désolation. J’ai rarement entendu une maison exprimer aussi intensément sa peine. L’atmosphère y était triste et l’air confiné. La cuisine paraissait sombre, morne et sentait le renfermé (depuis combien de temps une odeur  agréable, pain grillé, plat cuisiné, n’avait-elle pas circulé en cet espace?). A l’étage, le pommeau de la douche était fixé sur une surface dépourvue de carrelage, la peinture s’écaillait et des infiltrations aboutissaient dans la hotte de ventilation juste en-dessous.

Cependant, la maison ne manquait pas de charme. Vénérable demeure, construite à la fin du XVIIIème siècle, élégante, avec ses portes de salon classieuses, au verre délicatement gravé, elle pouvait se vanter d’une lunette ovale inondant de soleil sa cage d’escalier bleu indigo, d’un grand tableau représentant un notable au sourire las, d’une chambre rouge avec des stores damassés, qui laissaient au matin s’échapper sur les murs de petites flammes de lumière.

Si j’avais prévu d’y résider ne fut-ce que 24 heures supplémentaires, j’aurais sans doute disposé quelques tulipes ou un pot de primevères sur la table du salon. J’aurais longuement ouvert les fenêtres pour faire circuler l’air dans ces locaux rabougris et acheté du café italien pour qu’il embaume à travers toutes les pièces. J’aurais pu passer aussi un coup de serpillière sur le parquet vernis (hélas le seau trouvé tout au fond d’une armoire poussiéreuse s’était révélé fendu et les torchons inexistants). 

Jaap, en charge de l’accueil, s’était révélé ponctuel, avec une poignée de main franche, mais sa notion de l’entretien ménager semblait se résumer, entre deux locataires, à changer les draps et les linges ainsi qu’à déverser la moitié d’une bouteille de Javel dans la cuvette des WC. Il a acquiescé négligemment quand nous lui avons indiqué la tablette soutenant des piles d’assiettes qui menaçait dangereusement de s’effondrer. 

Une maison a besoin de soins et de reconnaissance. Une maison palpite comme un être humain. Elle vibre et vit au rythme de ses habitants. Elle s’étiole par défaut de tendresse et finit par se recroqueviller sur sa poussière et ses taches agglutinées. 

Après avoir pris nos repères, reniflé les locaux à la manière instinctives des animaux, nous avons trouvé refuge dans la chambre du grenier, sobre, grise et beige, lumineuse, avec ses deux fenêtres donnant sur les toits de la ville. C’est là haut, entre ces murs protecteurs, que nous nous sommes finalement installés pour bouquiner et soigner nos pieds endoloris.

Le dernier matin, j'ai quitté la demeure chagrine de la Speckstraat. Quand j'ai glissé le jeu de clefs à travers la fente du courrier, il a émis un son plat en tombant sur la moquette fatiguée. Je me suis dirigée vers la gare, d'un pas alerte, un sourire sur les lèvres, car je pensais déjà à la bien aimée qui m'attendait au loin. 

3 commentaires:

  1. Malheureusement, quand nous sommes en déplacement, on est tributaire d'un logement qui n'est pas le nôtre et si on n'a pas le temps de l'aménager comme on le souhaite, il reste triste.
    Tu as raison, une maison (ou un appartement) doit être vivant, avoir un note de couleurs, être joyeux.
    La maison dont tu parles est peut-être occupée aujourd'hui même par d'autres personnes qui n'ont pas eu le même souci que toi, n'y passant peut-être que peu de temps et seulement pour y dormir. C'est le "triste" destin d'une maison de vacances... Bises alpines et belle semaine.

    RépondreSupprimer
  2. Hello, Dédé,
    Durant mes voyages, j'habite souvent des maisons "de vacances", où je ne fais que passer, de quelques jours à quelques semaines. elles sont toutes différentes, certaines sont joyeuses, accueillantes, d'autres indifférentes ou tristes. La semaine prochaine, je serai à Naples, dans un quartier très animé et je suis prête à parier que ce logement-là sera aussi vivant et accueillant que la ville. On verra ça. Je te raconterai l'expérience. Bon début de semaine à toi et beau coucher de soleil! D.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A Naples, tu pourras faire le lessive et la suspendre au-dessus de la rue. ;-) Belle soirée à toi aussi.

      Supprimer