mercredi 8 mars 2017

Voyager : de passage...


Lars Arrhenius / A-Z 2002 (détail)  / Arken Museum


Impossible de me fidéliser une coiffeuse : la dernière fois où j’avais cru pouvoir confier ma chevelure sauvage à un salon pas loin de chez moi, la jeune femme qui venait d’achever – plutôt bien – son travail me dit en m’époussetant les épaules : « j’en suis à mon septième mois, j’arrête dans quelques semaines ».

Je suis donc condamnée à risquer ma tête toutes les six semaines environ, au hasard des villes. Au fond, étant donné l’indiscipline fondamentale de ma tignasse, le danger est limité et, de plus, l’expérience est intéressante : les salons et les techniques varient passablement, les conversations aussi. Après Vienne, Padoue,Amsterdam, je suis entrée l’autre jour dans un sous-sol pas loin de la place des Capucins, où la gérante était en train de finir son café. Ah ! Vous êtes juste de passage?

C’était une belle femme d’une cinquantaine d’années, originaire d’une petite ville au sud d’Alger. Fonctionnaire dans son pays, elle était arrivée en France il y a quinze ans. Rapide, efficace, elle n’a pas mis plus de quinze minutes à rafraîchir ma coupe. Entre temps, j’avais appris que le centre ville était en train de changer énormément (on rénove passablement dans ce vieux quartier de Saint-Michel, multiculturel et populaire) ; que « du travail en France, il y en a, et que les SDF, ce sont des gens qui ne veulent pas travailler » ; qu’il y en a « de plus en plus maintenant que l’Europe a ouvert ses frontières à l’Est » ; qu’elle-même avait beaucoup à faire et qu’elle « allait même pouvoir embaucher » ; que Marine « elle va rien faire à ceux qui travaillent et qui cotisent ». La dame avait obtenu sa naturalisation française et se trouvait donc en mesure de voter. Je ne peux pas dire, vu leur nature, que j’ai senti mes cheveux se dresser, mais ces propos avaient quelque chose de troublant.

A propos de SDF, justement, dans la ville ce qui m'a frappée, c’est le nombre de jeunes qui zonaient. Des tout jeunes, des tout français, livrés à la rue, en bande ou pas, avec leurs chiens, leurs sacs, leurs canettes. En leur tendant deux euros, je n’avais pas le sentiment que ce serait destiné à de la dope. J’avais l’impression qu’ils avaient besoin de manger. Eux aussi de passage, d’où venaient-ils ? Où s’en iraient-ils ? Quelle avait été leur trajectoire pour qu’ils en arrivent à danser crânement sur ces trottoirs ? Combien de temps allaient-ils tenir dans ce genre de vie ? Les destins sont si fragiles, il suffit de si peu de choses, parfois, pour bifurquer, décrocher, ou dégringoler. Il suffit parfois d’un regard, d’un mot pour tout faire basculer.

Dans le taxi qui nous ramenait à l’aéroport, le conducteur pestait contre les nuisances dues aux travaux de la nouvelle ligne de tram D, qui prévoit de desservir les quartiers et communes du Nord-Ouest. « ça va encore amener de la racaille au centre ville ». Moi, j’avais plutôt perçu les tramways comme des fermetures éclairs qui recousaient la ville de part en part.

Prendre une ligne au hasard et observer les passagers, tendre l’oreille aux conversations, entendre des bribes de vie se dérouler avant la descente au prochain arrêt. S’asseoir dans des bistrots de quartier, siroter sans rien faire d’autre qu’observer. Détailler les contenus du tapis roulant à une caisse de supermarché, échanger quelques mots avec des commerçants. A nuit tombée, s’interroger sur ce qui se vit derrière les fenêtres illuminées. Monter dans un taxi épuisée et regarder la ville, ses lumières se déployer.Bref, être touriste, être en voyage. Être juste de passage

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