lundi 20 février 2017

Vivre : la déperdition des énergies


Castello di Fontanellato / petit théâtre de marionnettes / 2016


Mado, ma chère et loyale Mado, son regard mi-pensif mi-envieux posé sur moi : « Il me reste encore 10 ans à tirer... ».

Mado est plus jeune que moi. A son âge, je croyais encore à mon métier. Je voulais non pas m’y réaliser (cette illusion professionnelle m’a assez vite abandonnée), mais y concrétiser mes savoirs et compétences. J’ai eu longtemps cet espoir. Et puis, au fil du temps, j'ai vu les portes se refermer, la bureaucratie s'emballer. C’est vrai : j’ai eu la chance de pouvoir partir en retraite anticipée assez vite, dès que les règles, les marches à suivre, les strates de hiérarchie se sont accumulées et ont transformé ce beau métier de terrain en un parcours balisé, parsemé de procédures dûment contrôlées et visées.

« No hay mas creatividad » m’a dit Monse sur les ramblas l’été dernier, en me félicitant de ma décision. Autre pays, autre culture, mais toujours la même réalité.

Le regard triste de Mado vient me dire la difficulté que c’est, de prendre chaque jour le chemin du travail, quand au travail, on a de l’expérience et du coffre, quand on a bien assez de lignes sur son CV, quand on a connu autre chose et qu’on peut comparer, mais qu’on ne dispose plus des moyens pour changer. A passé cinquante ans, on reçoit  ses envois en retour, on comprend entre les lignes ce que personne n’ose écrire tout haut: « trop âgée ! ».

Ainsi, Mado s’en va tous les jours affronter: la hiérarchie, les chefs, les sous-chefs, les aspirants chefs, les assistants de chefs, les chefs de projets, les englués dans les organigrammes, tous ces gens trop heureux de se placer, de grappiller un peu de pouvoir sur autrui en distribuant récompenses et bons points à qui sait bien se courber.

Mado peste, se lâche, sait qu’elle peut se confier. Ma Mado, courage, allons nous balader et tu vas tout me raconter.

3 commentaires:

  1. J'en ai des Mado qui me racontent ce qu'est devenu mon beau métier d'institutrice...
    Pourquoi cette ingéniosité à bureaucratiser toutes les tâches ?
    Pourquoi travailler doit-il toujours être synonyme de douleur ?
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Je ne vais pas te dire ce que je fais comme métier ici. Peut-être un jour. Mais ce que je peux dire, c'est qu'il devient de plus en plus difficile de se lever le matin et d'y croire encore. J'ai l'impression d'être dans le roman de Kafka: "le Château". Je ne sais plus vraiment pour qui je travaille et ce que je dois faire. Tout est flou... et le pire, c'est que cela commence à me peser vraiment sur la caboche. Mais je tiens parce que les fins de semaine, je pars sous d'autres cieux et je me ressource. Nous vivons dans un monde professionnel de plus en plus tendu. C'est une dure réalité et il faut composer avec. Malheureusement. Bises et merci pour ce petit texte.

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  3. Pour Célestine et Dédé :
    Oui. Le monde du travail génère du mal être. Il y a de moins en moins de place pour les prises d’initiative, la créativité, les responsabilités, le bon sens. On fait moins confiance à l’individu, on lui impose les procédures comme des GPS. Pourquoi les solutions devraient-elles toujours provenir de l’extérieur, du haut de la hiérarchie et pas des gens du terrain ? En tout cas, que de souffrance exprimée tous azimuts, que de talents gâchés ! C’est trop bête. Vraiment. Belle journée à toutes deux! D.

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