vendredi 27 janvier 2017

Vivre : la traversée de l'hiver / 2




Cet hiver n’a pas commencé en hiver. 

C’est un jour d’avril, il y aura bientôt deux ans, que j’ai trouvé le message de ma sœur, envoyé depuis les urgences. Quelque chose s’était sérieusement déréglé dans le corps et dans l’esprit de notre mère. Elle est restée plusieurs semaines à l’hôpital, un hôpital immonde, perdu dans la campagne, aux lourdes portes fermées, où les yeux figés des pensionnaires semblaient remplis de terreur ou de menace. Qu’a-t-elle pu vivre qui ait rompu l’équilibre précaire de sa vieillesse plaintive ? J’essaie encore de me l’expliquer. J’imagine qu’il s’agissait d’une sorte de burn out gériatrique. Je visualise un pétage de plomb dans un cerveau déjà fragilisé.

Parmi les choses fondamentales que l’on ne nous apprend pas et qu’on doit acquérir sur le tas : être parents et devenir les parents de nos parents.
Et ces deux exigences de détachement (accompagner vers l’autonomie et accompagner dans la perte inéluctable) peuvent être terribles. Simplement : terribles. Sauf que sur le chemin de l’autonomie, on a l’espoir de s’engager vers la sortie du tunnel, tandis qu’en fin de parcours il semble qu’on s’enfonce, lentement, à tâtons, dans le noir.


Les lundis soir, immanquablement, j’échoue essoufflée, démoralisée sur le quai numéro trois. Un vrai Picasso période bleue qui ne demande qu’une chose : fuir vers cet endroit limpide où les oiseaux sont heureux. Où il est possible de reprendre souffle pour assurer la suite.

8 commentaires:

  1. Ton billet m'a beaucoup touchée. Il est vrai qu'à un moment, on doit devenir "les parents de nos parents". Je n'ai pas encore vécu cela mais j'ai vu cela était pour mes grands-parents. C'est effectivement terrible et ce sont de douloureux moments. Peut-on se préparer à cela? J'ai des doutes mais quand cela arrive, on espère être entouré de douceur et pouvoir se ménager des espaces et des temps pour soi, pour prendre soin de soi afin de bien prendre soin des autres. "courage" ai-je envie de dire... Bises!

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    1. A vrai dire, je ne pensais pas écrire sur ce sujet dans mon blog (trop personnel, trop grave). Mais je réalise que le simple fait de passer de l’expérience à la description écrite aide beaucoup. Cela apporte du recul, de la distance. Et un message comme le tien m’aide et me soutient. Merci.

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  2. Je suis en plein dedans et ton billet me laisse sans voix...
    Il y a trois ans...ma mère a fait pareil...et depuis, c'est lourd ...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  3. Je me suis renseignée : en fait, il existe très peu de littérature sur cette expérience de vie (alors que les rayons « psycho et développement personnel » des librairies nous inondent de titres.
    En y réfléchissant, je me suis demandé si toutes les étapes importantes de notre existence (et dieu sait si celle-ci en est une) ne nous demandent pas d’expérimenter l’inconnu et de tracer notre route de manière personnelle (parfois à la machette). Apprivoiser le vieillissement, la décrépitude, l’approche de la mort, c’est un nouveau challenge que la vie exige de nous. Je réalise que je pense à ma propre mort, à ma propre vieillesse, comment je voudrais finir, et comment je ne voudrais surtout pas. Ce qui m’attriste avec ma mère, c’est que cela me confronte à ce que je ne voudrais surtout pas.
    Heureusement, il y a ... les oiseaux, la poésie, l'amour, la mer, les rires des enfants, le soleil (enfin, pour le soleil, ces jours-ci...).

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  4. Mais oui...au-dessus du brouillard...il y a du soleil. 😊

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  5. Un texte fort, qui peut concerner beaucoup de ceux qui ont la chance de voir vivre longtemps leurs parents. J'entre moi aussi dans cet âge ou l'on devient parent de ses parents, avec l'envie criante de fuir cette responsabilité "contre nature". C'est à une sorte de pré-mort que l'on se trouve confronté, à un âge où nous aspirons furieusement à la vie, la nôtre, avant d'entrer dans l'âge des renoncements inéluctables. Dans un quart de siècle j'aurai l'âge qu'ont mes parents aujourd'hui mais je m'en sens encore très loin...

    Merci pour ces mots, personnels et graves.

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  6. Vous parlez de « l'envie criante de fuir cette responsabilité "contre nature". C'est à une sorte de pré-mort que l'on se trouve confronté, à un âge où nous aspirons furieusement à la vie, la nôtre, avant d'entrer dans l'âge des renoncements inéluctables ». Oui. C’est exactement ce que je ressens. Je sens très fort la fragilité des choses et l’urgence d’en profiter tant que je le peux. Un appétit de vivre et de découvrir.
    Si ce n’est que … depuis quelque temps je me demande si ce n’est pas dans la nature des choses, justement, que d’accompagner ses parents jusqu’à leur fin. Tout l’art de notre âge (en tout cas du mien) réside dans le fait de jouir pleinement de la vie tout en accompagnant vers la mort et en envisageant la nôtre. Trouver l’équilibre entre le deuil qui s’éternise et le désir de vivre… ça me semble parfois un exercice d’équilibrisme pour lequel je me sens moyennement douée. Merci pour votre commentaire, Pierre. Il suscite l’envie d’aller plus loin dans l’écriture. D.

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    1. C'est tout à fait juste : la question de l'accompagnement des parents vers la mort se pose bel et bien, même si, pour ma part, j'aurais préféré en être dispensé. J'aime beaucoup ce que vous dites de « l'art de (…) jouir pleinement de la vie tout en accompagnant vers la mort et en envisageant la nôtre ». C'est toute une philosophie...

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