samedi 11 juin 2016

Vivre : Retour vers le futur





C’est assez simple (même si comme toute chose simple elle peut avoir été vécue avec quelques allers-retours) : nous venons de vivre cinq années exigeantes niveau boulot, nous constatons que la bureaucratie galopante et les restructurations à répétition ont envahi nos territoires professionnels respectifs, notre fils a un contrat en poche qui lui garantit son indépendance financière, nous avons vu quelques personnes proches atteintes de maladies graves, nous avons aussi connu quelques alertes santé certes pas préoccupantes mais bien réelles, notre plaisir à être ensemble ne s’est pas étiolé en trente-cinq ans, nous aimons les voyages et les îles, toutes les formes d’art et de création.
Par conséquent, quand, renseignements pris, nous avons constaté que nous disposerions de quoi vivre sans problème, nous nous sommes décidés pour une sortie anticipée:
Pourquoi ne pas prendre le temps de jouir, de découvrir, de voyager, d’être au monde sans avoir à nous soucier de gagner notre argent ?
Nous entrons donc dans notre VSM, notre Vie Sur Mesure, et mettons en place cube par cube nos projets, heureux de préserver cette santé devenue si précieuse au fil du temps, soucieux de notre environnement, émerveillés par la redécouverte de nos vingt ans poétiques et alternatifs, relativement modestes dans nos besoins et curieux dans nos envies.

Et voilà que les remarques commencent à pleuvoir autour de nous :
Quoi, déjà la retraite ?
Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir faire ? 
Tu ne vas pas t’ennuyer ?
Vous aurez assez pour vivre ?
Mes parents ont fait ça et ils souffrent de se sentir inutiles.
Je regarde ébahie ces gens, qui, somme toute, ne font que parler d’eux et de projeter leurs craintes.

Tout à l’heure, au courrier, cette formule polie au bas d’une proposition d’assurance accident (à laquelle nous devrons nous affilier en tant que non actifs) :
Nous vous souhaitons une longue, paisible et belle retraite.
Ah ! Bon ? La retraite est censée être paisible ? Et pourquoi pas ne serait-elle pas une jubilacion espagnole et vivace ?

Je médite : les moules, les stéréotypes, les étiquettes, les idées reçues, les ornières en tous genre. Nous en émettons tous. Nous en faisons tous les frais. Mais, quelle perte d’énergies, quel rétrécissement de nos existences ! Ces dernières années, insensiblement, je recevais au boulot des images de moi surprenantes : pas assez positive (je refusais d’obtempérer devant n’importe quelle réorganisation sans poser de question ni émettre d’analyse), pas assez réactive (je prenais quelques secondes de plus sur ma tablette, en revanche je ne passais pas de temps à récupérer des erreurs que je n’avais pas commises), pas assez participative (mais je me heurtais systématiquement à un refus quand je demandais à bénéficier d’une formation continue dont on me signifiait que je n’avais plus besoin). Lentement, subtilement, des signaux d'exclusion clignotaient autour de moi.

Oui, je médite sur le fait qu'insensiblement, et dès le tournant de la cinquantaine, on vous met dans des cases, c’est certain, et sans doute que le plus révolutionnaire, le plus déroutant, c’est de ne pas s’y laisser enfermer. Oui le plus extraordinaire, le plus simple, le plus merveilleux, c’est de renouer avec la fille de 20 ans que l’on a été et qui sommeillait patiemment au fond de soi. Cette fille qui revient me visiter dans mes rêves et qui me susurre  à l'oreille : cours, pars, découvre.

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