samedi 7 juin 2025

Vivre : le déversoir

 
Jeune fille / Auguste Renoir / fondation Langmatt / Baden
 
A force de l'écouter, de proposer en vain quelques solutions, de la voir toujours installée dans les mêmes situations, on se demande si dans le fond la seule chose qui compte pour elle n'est pas de continuer dans le statu quo, en conciliant inertie et lamento. Pour ce faire, elle a besoin que quelqu'un de confiance écoute la liste de ses malchances, les absorbe comme une éponge, simplement tende l'oreille à ses doléances. Comme hier, comme aujourd'hui, comme demain, elle se lamente sans rien attendre et surtout pas que quelque chose change. 
 

vendredi 6 juin 2025

Vivre : la chance de ma vie

 
Peinture quattrocento / auteur ? / Pinacothèque / Sienne
 
Voulant nettoyer ma boîte e-mail, je trie mes spams, histoire de ne rien jeter d'important. Je découvre qu'une ancienne professeure de yoga - assez bonne enseignante dans mon souvenir - a décidé d'élargir son champ d'action. Après la biodanza, les retraites de méditation, les sons thérapeutiques, les ateliers d'écriture, la voici qui bombarde tous ses contacts de propositions, visant toujours plus de spiritualité et d'élévation. Le contenu du dernier message m'interpelle :
 
Sais-tu ce qu’on regrette le plus souvent ?
Ce qu’on n’a pas osé vivre.
Ce stage, ce n’est pas juste une activité d’été.
C’est un tournant.
Ce sont 5 jours qui peuvent changer ta manière de voir et de vivre ta vie.
 
Damned! Quel programme ! Quelle opportunité! Elle ajoute : 
 
J'ai conçu Le Voyage de l'Héroïne pour réveiller les parties les plus puissantes de ton être.
Si tu passes à côté, tu ne sauras jamais ce que ce stage aurait pu éveiller en toi.

Me voici prévenue. Enfin, arrive la grande question :

Tu veux continuer à répéter l’ancien scénario ou écrire un chapitre radicalement neuf ?

Hélas, barbotant encore dans mes anciens schémas, j'ai réitéré mes erreurs passées J'ai sélectionné le mail et je l'ai... supprimé. 
  

jeudi 5 juin 2025

Vivre : bidouillages

 

juste avant et après l'orage
s'essaie le paysage
à l'autoportrait en gribouillages 
 

mercredi 4 juin 2025

Vivre : ce que cachent les mots

 
Dog / Keith Haring / Pisa / 2022
 
Comment gérer les bavards ? Vaste question. Qu'est-ce que font les bavards ? Certainement pas de la communication. Ils remplissent de mots l'espace. Ils prennent toute la place. Ils se fichent probablement de votre opinion. Ils n'ont cure de connaître vos réactions. Ils esquivent les confrontations pour mieux monter dans les tons. 
 
Face au bavard, on s'aperçoit qu'on décroche très vite. On n'écoute pas. On n'essaie même pas de comprendre, on n'absorbe pas. On s'interroge par contre sur le non-dit. Car les mots les phrases les pitreries, c'est ce qu'ils masquent qui nous intrigue.
  
Que reste-t-il d'un bavard dans le silence ? Après tant de mots, tant de show, qui se cache derrière tout ce cinoche ? Devant un bavard, on reste impassible. On l'observe, on lui imagine une vie intérieure. Quand on manque d'imagination, on fait mentaleement notre liste de commissions.
 
 

mardi 3 juin 2025

Regarder / Vivre : et moi et moi et moi



Comme l'observait Ben : tous egos.
Mais il faut quand même l'admettre :
certains nettement plus égos que d'autres.


lundi 2 juin 2025

Vivre : le vide de sa vie

 
Survival of Serena / Carol A. Feuermann / Biennale / Venise / 2017
 

La piscine a rouvert et comme chaque année on retrouve les mêmes habitués. Le reste du temps, en ville, on ne se croise pas, on ne se connaît pas. Surtout : on ne se reconnaît pas. C'est un drôle de compagnonnage qui s'installe pendant la période estivale. On échange un peu, mais pas en profondeur. On va à l'essentiel. Un bon compagnon de piscine sait garder sa ligne et respecter la vôtre. Il s'enquiert de votre santé si vous venez à manquer pendant quelques jours. Il vous informe de la fermeture du canal, vous dit où il a trouvé le matériel que vous convoitez, vous donne des  tuyaux sur les meilleurs lieux où plonger. 
Mais l'autre jour, je me suis trouvée empruntée quand C. s'est approchée et que je lui ai demandé comment elle allait. L'eau était froide. J'allais quitter le bassin et soudain j'ai vu C. s'effondrer en larmes. Elle manifestait une telle détresse qu'une femme qui passait s'est arrêtée. Mais C. lui a répondu d'un geste de la main que rien, rien, il ne se passait rien de grave et la femme s'est éloignée. 
D'un jet, elle a dit qu'il est parti et qu'elle ne sait pas pourquoi. Trente ans de mariage, avec ce second mari (un type modèle courant qui l'accompagnait quelquefois, penché sur son journal) et le voici qui s'est enfui. Sans une explication, juste trois mots : une autre femme. Plus jeune, rencontrée au travail, on ne peut pas faire plus banal. Le chagrin, quand il vous tombe dessus, est toujours d'une terrible banalité.
Elle s'est mise à raconter ce mariage, pour lequel elle a tout quitté. Son pays, son travail, ses amis. Même sa fille est restée vivre en Allemagne. C. est désemparée. Elle ne sait pas quoi faire. Elle semble seule et isolée dans une ville étrangère qu'elle n'avait pas choisi d'habiter. Elle apparaît comme démunie. Personne à qui parler. Je lui demande : médecin de famille ? Elle répond : un rendez-vous prévu avec une psy. Elle ne connaît rien à ses droits. Elle ne sait pas quoi faire, comment s'organiser. A-t-elle le droit de rester en Suisse puisque c'est lui qui y travaille ?
C'est cruel, une femme de soixante-quatre ans qui pleure dans un bassin glacé. C'est cruel de vivre uniquement à travers, pour, grâce à quelqu'un qui décide soudain de s'en aller. Virginia Woolf disait qu'une femme a besoin d'une chambre à soi et d'un revenu suffisant (qu'elle estimait à 500 livres annuelles en 1929). Apparemment, C. n'a ni l'un ni l'autre. Je réalise en lui parlant qu'elle vient chaque année à la piscine, mais qu'elle ne sait pas nager. D'année en année, elle fait ses exercices, elle flotte sur des frites, elle se tient au rebord du bassin. D'une manière ou d'une autre, elle devra pourtant apprendre. Il n'y a pas d'âge pour apprendre. Les bouées, ce n'est pas pour la durée. La vie lui demande de se mettre à la nage et d'apprendre à avancer. C'est la seule condition, si elle ne veut pas couler.
 
 
 

dimanche 1 juin 2025

Vivre : à contretemps

 
Sous la tente / Helen Mac Nicoll / 1914 / Collection privée
 
Depuis mercredi soir, les routes larges ou secondaires sur les axes nord sud / est ouest ont ressemblé à de longs chapelets agglutinés. Les news ont montré ces gros boudins encombrés, mesurés en heures d'attente et d'immobilité. Les aéroports ont connu les habituels retards, en heures de check aller et de stress retour. En revanche, ici, le chemin s'est assagi. Peu de moteurs, peu de bruits, quelques passages, des voix flegmatiques. Quelques rires de gamins délurés, des retrouvailles inopinées et le soleil insistant a absorbé en se couchant les échos de ces rayonnements. Ce sont les moments à contretemps. Les commerçants ont tout leur temps. On redécouvre des villes placides, des badauds nullement pressés, on déniche dans des boutiques chuchotantes des trésors qui font rêver. Sur des marchés éclatants on découvre des fruits au nom charmant qu'on savoure paupières baissées, avec sur la langue un goût d'enfance retrouvée. Dimanche soir, on se retrouvera reposés, radieux d'avoir très peu réalisé, satisfaits de n'avoir pas grand chose à raconter. On entendra les moteurs gronder, les clameurs de la rentrée, mais de loin, de très loin, car on sera encore plongés dans le livre qui nous tient en haleine et qu'il nous tarde de terminer.